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Botazoom, Botanique et Iconographie

Botazoom, Botanique et Iconographie

Ce blog est destiné aux curieux de botanique. En s’appuyant sur les photos que j’ai pu faire en voyage, et sur de l’iconographie ancienne, il rentre un peu dans les détails qui m’ont permis d’identifier une espèce, mais son contenu doit être considéré comme celui d’une botaniste amateur !

Publié le par Claire Felloni
Publié dans : #Arbustes, #Botanique, #iconographie, #voyages

Jean-Baptiste Labat, 1663-1738, dans le tome 3 d’une suite de 6 volumes (« NOUVEAU VOYAGE AUX ISLES DE L'AMERIQUE », voir à la fin de cet article) nous parle non en latin mais bien en un français très agréable à lire, des trois espèces de ‘médicinier’ qu’il a rencontré aux Antilles. Il se trouve que j’ai vu au moins deux de ces Jatropha (famille des Euphorbiacées), en Guadeloupe, identifiés avec quelques difficultés. C’est pourquoi j’ai trouvé intéressant d’enrichir cet article avec  ses écrits que je vous cite ici en regard de mes photos et de quelques gravures anciennes dont les incontournables belles représentations de Jean-Théodore Descourtilz, postérieures d’un siècle (1822) au texte de Labat de 1722. (En italique, son texte original).

« Il y en a de trois espèces. La plus commune que l’on trouve partout et dont on se sert plus ordinairement, est celle que je vais décrire ».

Il va nous parler de Jatropha curcas : le Médecinier purgatif ou Pignon d’Inde ou encore Pourghère ; en créole : Mèdsinyé blan ; Mèdsinyé baryè ; Mèdsinyé béni.

« Le Medicinier est fort commun aux isles. On s’en sert assez souvent pour faire des lizières ». (des haies, je pense, d’ailleurs il se multiplie facilement de boutures.)

« Sa fleur n’a rien de beau. Elle ne vient jamais seule, mais en bouquets composé de plusieurs fleurons d’un blanc sale tirant sur le vert. Chaque fleuron est composé de cinq feuilles en manière d’étoile, qui sont comme un cul de lampe arrondi avec un col plus resserré et terminé par l’extrémité des feuilles qui se renversent en dehors. Le fond du fleuron est garni et comme renfermé entre cinq petites feuilles ».

« C’est du centre de ces fleurs que l’on voit sortir le fruit, ordinairement il est de la grosseur d’une noix commune d’Europe. Son écorce est verte et luisante avant qu’il soit mûr ; elle devient jaune, unie et molasse quand il est mûr ; et brune, légère, ridée et cassante quand il est sec ».

« Elle renferme trois capsules presque triangulaires, dans chacune desquelles il y a une noix ou pignon, enveloppé de trois différentes enveloppes …» J’avoue ne pas avoir épluché ces pignons !

« On lui a donné le nom de Noix de Médecine ou de Pignon purgatif, à cause de la faculté qu’elle a de purger ... Quatre à cinq de ces noix selon l’âge et le tempérament des personnes qui s’en veulent servir, suffisent pour purger très bien. Mais quand on en prend une plus grande quantité, on s’expose à des vomissements cruels et à des évacuations trop grandes ». Attention ! De toute façon, les usages ne sont plus les mêmes, surtout des applications locales, pas d’usage interne.

Mais heureusement le Père Labat nous dévoile une recette moins radicale pour se purger, que vous pourrez tester après les fêtes :

« Les Espagnols, nos Chasseurs ou Boucaniers, nos Flibustiers et autres gens qui ont la pratique du pays, se purgent d’une manière encore plus facile et sans courir le moindre risque. Ils ne font que prendre une orange de la Chine, ou à son défaut une orange douce, ils la coupent par le milieu et couvrent de sel battu les deux moitiés qu’ils remettent l’une sur l’autre, et les laissent ainsi pendant douze ou quinze heures, après quoi ils les mangent à jeun, et ils sont assurés d’être très bien purgés et d’une manière douce et sans dégoût ».

 

Ci-dessous l’illustration de Jatropha curcas, issue de la Flore médicale des Antilles de Descourtilz ; dans le texte, il le nomme Medicinier cathartique et ajoute : (Purgatif drastique). Les représentations de Théodore Descourtilz sont très particulières, plus picturales que graphiques. Sont-elles stylisées ou trop rustiques ? Ou presque modernes de conception et très parlantes ? Je le laisse à votre appréciation…

Jatropha curcas dans la « Flore médicale des Antilles de Michel Etienne Descourtilz par Théodore Descourtilz

Jatropha curcas dans la « Flore médicale des Antilles de Michel Etienne Descourtilz par Théodore Descourtilz

Voici une illustration de la même époque mais plus fine et aboutie où je retrouve exactement la plante que j’ai vue ; elle se trouve dans l’Hortus botanicus Vindobonensis (1776) de Nicolaus Joseph Jacquin, c’est la planche 63 dont le texte (p 36)  renvoie aussi au Medicinier du Père Labat:  https://bibdigital.rjb.csic.es/viewer/14955

 

La deuxième espèce évoquée par le Père Labat, est très probablement d’après sa description Jatropha multifida (aux Antilles : Koray, Noisette purgative) une très belle plante que je n’ai pas vue hélas ! Mais je peux quand même vous montrer cette illustration : n°91 du « Paradisus Londinensis » de William Hooker, datée de 1805.

https://www.biodiversitylibrary.org/item/113616#page/209/mode/1up

 

La troisième espèce est très certainement le Jatropha gossypiifolia L., le Médicinier rouge ou Médicinier bâtard.

« Le medicinier de la troisième espèce est encore plus petit que celui de la seconde. Ce n’est qu’un arbrisseau de trois à quatre pieds de hauteur, gros à proportions ; les feuilles sont grasses, huileuses et molles ; elles sont colorées de vert de jaune et de rouge : elles sont plus entières et bien moins refendues que celles de la seconde espèce et tous leurs bords sont semés de petits points jaunes ».

« La fleur est comme une petite rose à cinq feuilles, toute ronde, de couleur de ponceau, dont le centre est garni de quelques petites étamines, couvertes d’une espèce de poussière dorée ».

« Le fruit n’est pas plus gros qu’une noisette dont le dehors est découpé et comme partagé en six parties égales, qui composent trois capsules qui renferment trois petites amandes bien plus délicates que celles des deux premières espèces, qui purgent plus doucement et avec moins de risque ». Maintenant, l’usage de cette plante doit être évité en voie interne, mais elle fait l’objet d’études pharmacologiques.

 

 On trouve aussi chez Descourtilz, toujours dans la « Flore médicale des Antilles, ou, Traité des plantes usuelles des colonies Françaises, Anglaises, Espagnoles et Portugaises », ce Jatropha sous le nom usuel de Medecinier multifide mais ce n’est pourtant surement pas le Jatropha multifida actuel cité plus haut: la description du n°2 du père Labat et l’image de William Hooker ne correspondent pas à cette image et même le texte de l’auteur (Michel Etienne Descourtilz) associé à l’image représenté par son fils Jean Théodore ne semble pas coïncider ! Je pense vraiment que cette planche représente Jatropha gossypifolia dont les feuilles sont beaucoup moins profondément divisées. Vous pouvez consulter la page de description p 304 et ainsi d’autres recettes purgatives qui font frémir:

https://www.biodiversitylibrary.org/page/2956571#page/378/mode/1up

"Flore médicale des Antilles" de Michel Etienne Descourtilz, dessin de Théodore Descourtilz

"Flore médicale des Antilles" de Michel Etienne Descourtilz, dessin de Théodore Descourtilz

Mon troisième Jatropha est encore une autre espèce. Il est surtout ornemental et d’origine cubaine. Le voici : c’est  Jatropha integerrima Jacq. (Epika, Epicar, Médsinyé).

L’illustration qui suit provient du Curtis’s Botanical Magazine, vol 36 de 1812, dessin de Sydenham Edwards

Le Révérend Père Labat, missionnaire dominicain sous le règne de Louis XIV est l’auteur d’un ouvrage très documenté :

« NOUVEAU VOYAGE AUX ISLES DE L'AMERIQUE, contenant  l'histoire naturelle de ces pays, l'origine, les mœurs, la religion et le gouvernement des habitants anciens et modernes: les guerres et les évènements singuliers qui y sont arrivés pendant le long séjour que l’auteur y a fait : le commerce et les manufactures qui y sont établies, et les moyens de les augmenter ; ouvrage enrichi d’un grand nombre de cartes, plans, et figures en taille-douce ». 

Plus d’éléments sur le Père Labat, sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Labat

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